Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/147

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Comme le curieux s’esgare et s’embarrasse,
Dans les divers destours qu’un dedale entre-lace ;
Et que plus il s’avance, et plus il se confond,
Dans l’embarras douteux que tant de chemins font.
Ainsi du grand heros les diverses pensées,
Passent de l’une à l’autre, et sont embarrassées :
Et quoy que tous ces chefs veüillent le soulager,
Son esprit amoureux ne peut s’en desgager.
Mais lors que de la nuit le voile espais et sombre,
Envelope la flotte, et la mer dans son ombre ;
Et que seul sur son bord il peut en liberté,
Soupirer sans tesmoins ainsi que sans clarté ;
Helas, dit-il, helas, quelle est mon avanture !
Tout me parle en ce lieu de ma gloire future ;
Chacun me croit heureux, je suis infortuné ;
Le triomphe m’attend, je me vois enchaisné ;
Et d’un bizarre sort qui n’a point de semblable,
Je me trouve à la fois, heureux et miserable.
Heureux ! Ha juste ciel, quel estrange bonheur,
Et qu’on voit mal d’accord le plaisir et l’honneur !
Non, ne nous flattons point d’une esperance vaine :
Je puis vaincre l’orgueil de la grandeur romaine ;
Je puis, en prenant Rome, estre veu genereux ;
Mais sans Amalasonthe on ne peut estre heureux.
Quand j’auray par mon bras donné des fers au Tibre,
Pour le rendre captif je ne seray pas libre :
Et le jour du triomphe on verra dans mon cœur,
Le destin des vaincus, souhaitté du vainqueur.