Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/148

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Mais ma raison s’esgare en parlant de ma peine :
Non, non, pour meriter une si belle chaisne,
Il faut au Capitole, apres mille hazards,
Faire traisner des fers au dernier des Cezars.
Ainsi pleignoit ses maux le heros des vandales,
Lors que de l’enchanteur les malices fatales,
Jettoient sur son navire un charme assoupissant,
Aussi caché que prompt, aussi froid que puissant.
Par l’oculte pouvoir de sa noire magie,
Soldats et mariniers tombent en lethargie :
Et le prince luy mesme, en un profond repos,
Esprouve la vapeur des magiques pavots.
O justice du ciel, que tout roy te doit craindre !
Pour punir Alaric d’avoir osé se pleindre,
Dieu permet au demon d’attaquer sa vertu,
Car qui doit triompher sans avoir combattu ?
Sa faute vient d’une ame, et constante, et fidelle,
Mais sa noble foiblesse est pourtant criminelle :
Un heros n’est qu’un homme, et cette affliction,
Le fera souvenir de sa condition.
L’image de la mort est par tout le navire ;
A peine connoist-on si le soldat respire ;
Et le pilotte mesme attaqué du demon,
Ne voit plus, n’agit plus, et dort sur son tymon.
Un sommeil general assoupit tout le monde ;
Rigilde et ses esprits, jettent l’anchre dans l’onde ;
Et la flotte qui voit l’amiral arresté,
Jette l’anchre à son tour ainsi qu’il l’a jetté.