Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/196

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On ayme ; on n’ayme plus ; libre, et puis en prison ;
Mais tousjours par contrainte, et jamais par raison.
Lors que je vous aymois vous n’estiez pas plus belle :
Lors que je n’ayme plus l’on vous voit encor telle :
J’avois les mesmes yeux, et j’ay le mesme cœur ;
Et sans que nous changions, je change de vainqueur :
Tant cét ordre fatal, puissant, et necessaire,
Regle comme il luy plaist ce que nous devons faire.
Ainsi nous excusons, dit-elle avec courroux,
Ce qui n’est point au ciel, et ce qui n’est qu’en nous :
Et sans chercher si haut le malheur qui me blesse,
J’en voy, j’en voy la cause en ta seule foiblesse,
Cœur ingrat, cœur cruel, cœur sans flâme et sans foy,
Et pour tout dire enfin, cœur indigne de moy.
Avec ces tristes mots cette belle le quitte,
Rougissant de l’affront qu’il fait à son merite :
Elle part en pleurant ; elle part pour finir ;
Et sans que l’inconstant songe à la retenir.
Comme on voit sur un mont une roche esbranlée,
Tomber en bondissant vers la sombre vallée,
Et ne s’arrester point que ce pesant fardeau,
Du plus haut de ce mont ne soit au bord de l’eau.
De mesme la fureur de cette aymable amante,
Loin de diminuer en s’esloignant s’augmente :
Et ne peut arrester un si rapide cours,
Ny rencontrer de fin qu’en celle de ses jours.
Un mortel desespoir occupa sa pensée ;
Son insensible amant la rendit insensée ;
Et le mespris qu’il