Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/65

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Le tien ne le peut estre, à moins que de la voir ;
Et l’inclination, l’amour, et le devoir,
La raison, la pitié, tout te veut aupres d’elle ;
Tout te nomme barbare, et t’apelle infidelle ;
Et tu la veux quitter, et causer son trespas !
Le sort en est jetté, dit-il, ne partons pas ».
Là, ce prince s’arreste, et repasse en luy-mesme,
Et les ordres du ciel ; et sa douleur extrême ;
Son ame est balancée entre plus d’un soucy ;
Il en soûpire encore, et parle apres ainsi.
« Quel orage s’esmeut en ma triste pensée ?
Quelle audace est la tienne, ô mon ame insensée ?
Contre l’ordre du ciel, j’ose deliberer,
Et contre mon devoir, on m’entend murmurer !
Le dieu de l’univers m’apelle au bord du Tibre,
Et je parle aujourd’huy, comme si j’estois libre !
Et je parle aujourd’huy, comme si tous les rois,
Pouvoient rien opposer à ses divines loix !
Quoy, j’entendray parler la sagesse eternelle,
Qui voit dans l’advenir, ce qui n’est veu que d’elle ;
Qui sçait ce que j’ignore, et de qui l’equité,
Me sçauroit bien punir de ma temerité ;
Et ma raison aveugle, et ma raison fautive,
Contre l’ordre du ciel, voudra que je la suive ;
Voudra que je m’esgare, en la pensant trouver ;
Et qu’enfin je me perde, en me croyant sauver !
Quoy, la gloire m’apelle, et mon ame y resiste !
Quoy, je voy le triomphe, et l’on me peut voir triste !