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DE L’ALLEMAGNE

étoient aussi très-propres à développer en France la sagacité, la mesure et la convenance de l’esprit de société. Les rangs n’y étoient point marqués d’une manière positive, et les prétentions s’agitoient sans cesse dans l’espace incertain que chacun pouvoit tour à tour ou conquérir ou perdre. Les droits du tiers-état, des parlements, de la noblesse, la puissance même du roi, rien n’étoit déterminé d’une façon invariable ; tout se passoit pour ainsi dire en adresse de conversation : on esquivoit les difficultés les plus graves par les nuances délicates des paroles et des manières, et l’on arrivoit rarement à se heurter ou à se céder, tant on évitoit avec soin l’un et l’autre ! Les grandes familles avoient aussi entre elles des prétentions jamais déclarées et toujours sous-entendues, et ce vague excitoit beaucoup plus la vanité que des rangs marqués n’auroient pu le faire. Il falloit étudier tout ce dont se composoit l’existence d’un homme ou d’une femme, pour savoir le genre d’égards qu’on leur devoit ; l’arbitraire sous toutes les formes a toujours été dans les habitudes, les mœurs et les lois de la France : de là vient que les Français ont eu, si l’on peut s’exprimer ainsi, une si grande pédanterie de frivolité ; les bases principales n’étant point affermies, on vouloit don-