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DE L’ALLEMAGNE

de centre, point de capitale, point de société. L’espèce d’impartialité, luxe de la justice, qui caractérise les Allemands, les rend beaucoup plus susceptibles de s’enflammer pour les pensées abstraites que pour les intérêts de la vie ; le général qui perd une bataille est plus sûr d’obtenir l’indulgence, que celui qui la gagne ne l’est d’être vivement applaudi ; entre les succès et les revers, il n’y a pas assez de différence au milieu d’un tel peuple pour animer vivement l’ambition.

La religion vit, en Allemagne, au fond des cœurs, mais elle y a maintenant un caractère de rêverie et d’indépendance, qui n’inspire pas l’énergie nécessaire aux sentiments exclusifs. Le même isolement d’opinions, d’individus et d’états, si nuisible à la force de l’Empire Germanique, se trouve aussi dans la religion : un grand nombre de sectes diverses partagent l’Allemagne ; et la religion catholique elle-même, qui, par sa nature, exerce une discipline uniforme et sévère, est interprétée cependant par chacun à sa manière. Le lien politique et social des peuples, un même gouvernement, un même culte, les mêmes lois, les mêmes intérêts, une littérature classique, une opinion dominante, rien de tout cela n’existe chez les Allemands. Chaque État en est plus indépen-