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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE

libre arbitre. Il faut y croire, parce qu’on les sent : tout argument sera toujours d’un ordre inférieur à ce fait.

L’anatomie ne peut s’exercer sur un corps vivant sans le détruire ; l’analyse, en s’essayant sur des vérités indivisibles, les dénature par cela même qu’elle porte atteinte à leur unité. Il faut partager notre âme en deux, pour qu’une moitié de nous-mêmes observe l’autre. De quelque manière que ce partage ait lieu, il ôte à notre être l’identité sublime sans laquelle nous n’avons pas la force nécessaire pour croire ce que la conscience seule peut affirmer.

Réunissez un grand nombre d’hommes au théâtre et dans la place publique, et dites-leur quelque vérité de raisonnement, quelque idée générale que ce puisse être, à l’instant vous verrez se manifester presque autant d’opinions diverses qu’il y aura d’individus rassemblés. Mais si quelques traits de grandeur d’âme sont racontés, si quelques accents de générosité se font entendre, aussitôt des transports unanimes vous apprendront que vous avez touché à cet instinct de l’âme, aussi vif, aussi puissant dans notre être, que l’instinct conservateur de l’existence.