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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

pient les uns les autres dans les moindres détails, non pas précisément par méchanceté, mais pour avoir quelque chose à dire quand ils n’ont rien à penser. Ce genre de causticité journalière détruit la bienveillance et la loyauté. On n’est pas content de soi-même quand on abuse de l’hospitalité donnée ou reçue pour critiquer ceux avec qui l’on passe sa vie, et l’on empêche ainsi toute affection profonde de naître ou de subsister ; car en écoutant des moqueries sur ceux qui nous sont chers, on flétrit ce que l’affection a de pur et d’exalté : les sentiments dans lesquels on n’est pas d’une vérité parfaite font plus de mal que l’indifférence.

Chacun a en soi un côté ridicule ; il n’y a que de loin qu’un caractère semble complet ; mais ce qui fait l’existence individuelle étant toujours une singularité quelconque, cette singularité prête à la plaisanterie : aussi l’homme qui la craint avant tout cherche-t-il, autant qu’il est possible, à faire disparoître en lui ce qui pourroit le signaler de quelque manière, soit en bien, soit en mal. Cette nature effacée, de quelque bon goût qu’elle paroisse, a bien aussi ses ridicules ; mais peu de gens ont l’esprit assez fin pour les saisir.