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CORINNE OU L’ITALIE

n’a souillé ma vie depuis l’hymen jusqu’au bûcher ; j’ai vécu pure entre les deux flambeaux[1]. Quelle admirable expression, s’écria Corinne ! quelle image sublime ! et qu’il est digne d’envie le sort de la femme qui peut avoir ainsi conservé la plus parfaite unité dans sa destinée, et n’emporte au tombeau qu’un souvenir ! c’est assez pour une vie. —

En achevant ces mots, les yeux de Corinne se remplirent de larmes ; un sentiment cruel, un soupçon pénible s’empara du cœur d’Oswald. — Corinne, s’écria-t-il, Corinne, votre ame délicate n’a-t-elle rien à se reprocher ? si je pouvais disposer de moi, si je pouvais m’offrir à vous, n’aurais-je point de rivaux dans le passé ? pourrais-je être fier de mon choix ? une jalousie cruelle ne troublerait-elle pas mon bonheur ? — Je suis libre, et je vous aime comme je n’ai jamais aimé, répondit Corinne, que voulez-vous de plus ? Faut-il me condamner à vous avouer qu’avant de vous avoir connu, mon imagination a pu me tromper sur l’intérêt qu’on m’inspirait ! Et n’y a-t-il pas, dans le cœur de l’homme, une pitié divine pour les erreurs que le sentiment, ou du moins l’illusion du sentiment, aurait fait commettre ! — En achevant ces mots, une rougeur modeste couvrit son visage. Oswald tressaillit,

  1. Viximus insignes inter utramque facem.
    Properce.