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CORINNE OU L’ITALIE.

en vain que pendant long-temps elles suivirent ses traces. Un jour vint qu’il fallut le quitter. Porcie se donne la mort ; Cornélie presse contre son sein l’urne sacrée qui ne répond plus à ses cris ; Agrippine, pendant plusieurs années, irrite en vain le meurtrier de son époux : et ces créatures infortunées, errant comme des ombres sur les plages dévastées du fleuve éternel, soupirent pour aborder à l’autre rive ; dans leur longue solitude, elles interrogent le silence, et demandent à la nature entière, à ce ciel étoilé, comme à cette mer profonde, un son d’une voix chérie, un accent qu’elles n’entendront plus.

Amour, suprême puissance du cœur, mystérieux enthousiasme qui renferme en lui-même la poésie, l’héroïsme et la religion ! qu’arrive-t-il quand la destinée nous sépare de celui qui avait le secret de notre ame, et nous avait donné la vie du cœur, la vie céleste ? Qu’arrive-t-il quand l’absence ou la mort isolent une femme sur la terre ? Elle languit, elle tombe. Combien de fois ces rochers qui nous entourent n’ont-ils pas offert leur froid soutien à ces veuves délaissées qui s’appuyaient jadis sur le sein d’un ami, sur le bras d’un héros !