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CORINNE OU L’ITALIE.

Devant vous est Sorrente ; là, demeurait la sœur du Tasse, quand il vint en pèlerin demander, à cette obscure amie, un asile contre l’injustice des princes : ses longues douleurs avaient presque égaré sa raison ; il ne lui restait plus que du génie ; il ne lui restait que la connaissance des choses divines, toutes les images de la terre étaient troublées. Ainsi le talent, épouvanté du désert qui l’environne, parcourt l’univers sans trouver rien qui lui ressemble. La nature pour lui n’a plus d’écho ; et le vulgaire prend pour de la folie ce malaise d’une ame qui ne respire pas dans ce monde assez d’air, assez d’enthousiasme, assez d’espoir.

La fatalité, continua Corinne avec une émotion toujours croissante, la fatalité ne poursuit-elle pas les ames exaltées, les poètes dont l’imagination tient à la puissance d’aimer et de souffrir ? Ils sont les bannis d’une autre région, et l’universelle bonté ne devait pas ordonner toute chose pour le petit nombre des élus ou des proscrits. Que voulaient dire les anciens, quand ils parlaient de la destinée avec tant de terreur ? Que peut-elle cette destinée sur les êtres vulgaires et paisibles ? Ils suivent les saisons, ils parcourent docile-