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CORINNE OU L’ITALIE.

voyais point de vignes, les fleurs croissaient languissamment à long intervalle l’une de l’autre ; les sapins couvraient les montagnes toute l’année, comme un noir vêtement : un édifice antique, un tableau seulement, un beau tableau aurait relevé mon ame, mais je l’aurais vainement cherché à trente milles à la ronde. Tout était terne, tout était morne autour de moi, et ce qu’il y avait d’habitations et d’habitans servait seulement à priver la solitude de cette horreur poétique qui donne à l’ame un frisson assez doux. Il y avait de l’aisance, un peu de commerce et de la culture autour de nous ; enfin, ce qu’il faut, pour qu’on vous dise : Vous devez être contente, il ne vous manque rien. Stupide jugement porté sur l’extérieur de la vie, quand tout le foyer du bonheur et de la souffrance est dans le sanctuaire le plus intime et le plus secret de nous-mêmes !

À vingt et un ans, je devais naturellement entrer en possession de la fortune de ma mère et de celle que mon père m’avait laissée. Une fois alors, dans mes rêveries solitaires, il me vint dans l’idée, puisque j’étais orpheline et majeure, de retourner en Italie pour y mener une vie indépendante, tout entière consacrée aux arts. Ce projet, quand il entra dans ma pensée,