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CORINNE OU L’ITALIE.

vine ne venait point au secours d’une telle douleur.

J’étais heureux et calme auprès de mon père, mais je souhaitais de voyager avant de m’engager dans l’armée. Il y a, dans mon pays, la plus belle carrière civile pour les hommes éloquens ; mais j’avais, j’ai même encore une si grande timidité, qu’il m’eût été très-pénible de parler en public, et je préférais l’état militaire. J’aimais mieux avoir affaire aux périls certains qu’aux dégoûts possibles. Mon amour-propre est, à tous les égards, plus susceptible qu’ambitieux, et j’ai toujours trouvé que les hommes s’offrent à l’imagination comme des fantômes, quand ils vous blâment, et comme des pygmées, quand ils vous louent. J’avais envie d’aller en France, où venait d’éclater cette révolution qui, malgré la vieillesse du genre humain, prétendait à recommencer l’histoire du monde. Mon père avait conservé quelques préventions contre Paris, qu’il avait vu vers la fin du règne de Louis XV, et ne concevait guère comment des cotteries pouvaient se changer en nation, des prétentions en vertus, et des vanités en enthousiasme. Néanmoins il consentit au voyage que je désirais, parce qu’il craignait de rien exiger : il avait une sorte d’embarras de son