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CORINNE OU L’ITALIE.

lettres à mon père et les déchirant toutes, M. de Maltigues, qui ne venait guère me voir, parce que nous ne nous convenions pas, arriva, député par madame d’Arbigny pour m’arracher à ma solitude ; mais s’intéressant assez peu, comme vous allez en juger, au succès de son ambassade. Il aperçut en entrant, avant que j’eusse eu le temps de le cacher, que j’avais le visage couvert de larmes. — À quoi bon cette douleur, mon cher, me dit-il ? quittez ma cousine ou bien épousez-la : ces deux partis sont également bons, puisqu’ils en finissent. — Il y a des situations dans la vie, lui répondis-je, où même en se sacrifiant on ne sait pas encore comment remplir tous ses devoirs. — C’est qu’il ne faut pas se sacrifier, reprit M. de Maltigues ; je ne connais, quant à moi, aucune circonstance où cela soit nécessaire : avec de l’adresse on se tire de tout ; l’habileté est la reine du monde. — Ce n’est pas l’habileté que j’envie, lui dis-je ; mais je voudrais au moins, je vous le répète, en me résignant à n’être pas heureux, ne pas affliger ce que j’aime. — Croyez-moi, dit M. de Maltigues, ne mêlez pas à cette œuvre difficile qu’on appelle vivre le sentiment qui la complique encore plus : c’est une maladie de l’ame, j’en suis atteint quelquefois tout comme