Page:De Wulf - Le Problème des Universaux dans son évolution historique du IXe au XIIIe siècle, 1900.pdf/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revêtent ce même état universel que conçoit notre entendement. Telle est la thèse du réalisme platonicien, ou réalisme outré ; elle résout adéquatement le problème.

Mais, pour ce faire, elle doit faire violence au bon sens. Dans la nature, toute chose existante n’est-elle pas une chose individuelle, et les substances naturelles ne sont elles pas indépendantes les unes des autres au point de vue de leur existence ? Aristote a inscrit ce théorème à la première page de sa métaphysique ; et tous les adversaires du réalisme platonicien s’y sont ralliés.

La simple affirmation de la substantialité de l’individuel est néanmoins insuffisante, car elle soulève immédiatement cette autre question que le réalisme outré évite et qui recèle la vraie difficulté : comment une représentation universelle peut-elle être conforme à un monde qui ne contient que des individus ? Ne semble-t-il pas qu’une opposition complète se révèle entre les attributs de la chose réelle et de la chose représentée ? Pour dissiper cette antinomie, trois théories sont possibles.

La plus radicale est celle du nominalisme. Afin d’éviter à tout prix le désaccord du monde réel et du monde de la pensée, les nominalistes nient l’existence, voire même la possibilité des concepts universels. Ils prennent le problème à rebours des réalistes outrés. De même que ceux-ci forgent un monde extérieur qui réponde aux caractères de nos pensées, de même ceux-là façonnent nos représentations sur le modèle du monde extérieur. Puisqu’il n’y a pas de réalité universelle dans la nature, il n’y a pas de représentation universelle dans notre entendement. Ce que nous croyons être une représentation générale, disent les nominalistes, est un nom, un mot qui sert d’étiquette pour reconnaître divers individus et les désigner collectivement. [1].

Plus soucieux des témoignages de la conscience, le conceptualisme reconnaît en nous la présence de ces représentations universelles niées par le nominalisme, mais il considère ces formes universelles comme des phénomènes subjectifs engendrés par

  1. voir Taine. De l’Intelligence (Paris 1878) II. p. 259 et suivantes. „Une idée générale et abstraite est un nom et rien qu’un nom”.