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monde au milieu duquel il vit, finit tôt ou tard par s’étudier lui-même. Chez saint Anselme de Cantorbéry, chez Abélard, on voit poindre les préoccupations relatives au processus de nos connaissances, à la génèse de nos représentations intellectuelles. Dès ce jour le problème des universaux se précise.

Pierre Abélard, le chevalier de la dialectique au XIIe siècle, fait faire un grand pas à la solution définitive. Jamais il n’a surgi pour le réalisme platonicien de plus fougueux adversaire. Quelle était sa doctrine ? On a fait de lui le fondateur du conceptualisme, comme on a fait de Roscelin le porte-drapeau du nominalisme. Que faut-il penser de cette assertion ?

Une chose est claire : comme Roscelin, plus même que lui, P. Abélard insiste sur la valeur substantielle des seuls individus dans la nature. Mais il renchérit sur lui en affirmant d’une manière positive l’existence de conceptions universelles : nous nous représentons des éléments communs dans divers individus, et nous concevons ces éléments comme distributivement réalisables dans un nombre indéfini d’individus de même espèce. C’est que nos concepts sont abstraits. Or par l’abstraction nous saisissons les choses autrement que celles-ci n’existent hors de nous.[1] Cette faculté de l’esprit est réelle. Abélard n’est donc pas nominaliste.

Est-il conceptualiste ? En d’autres termes, Abélard enseigne-t-il positivement que cette forme universelle de notre esprit n’a qu’une valeur phénoménale, subjective, qu’elle n’a aucune base dans la réalité ? Nous ne sachions pas que les déclarations du philosophe du Pallet autorisent cette assertion.

D’autre part, après avoir revendiqué la signification idéale du concept abstrait, Abélard a-t-il positivement montré son objectivité réelle ? Est-il le fondateur de ce réalisme mitigé qu’on a rattaché au nom de saint Thomas d’Aquin. Nous ne le pensons pas davantage.

Abélard n’a pas songé à se prononcer nettement pour ou contre l’objectivité de nos représentations ; il n’a pas pris position dans un débat qui n’était pas ouvert de son temps. Nous ne

  1. voir les textes de Rémusat, Abélard I, 495.