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doutons pas de la réponse qu’il aurait faite si la question avait été formulée. La théorie d’Abélard est toute entière dans l’esprit du thomisme ; elle est exacte, mais elle est incomplète. Nous consentons à appeler Abélard du nom de conceptualiste, à condition qu’on définisse le conceptualisme dans l’histoire de la philosophie médiévale : „une théorie qui affirme la substantialité des individus et la valeur idéale des idées universelles, mais ne se prononce pas sur la valeur réelle de celles-ci.“

On le voit, peut à peu les solutions se dessinent, se précisent. Nous pressentons le terme où conduira cette évolution. Abélard a renchéri sur ses prédécesseurs, d’autres renchériront sur Abélard.

Il ne reste qu’un pas à faire pour toucher du doigt la solution définitive. EN étudiant de plus près le mécanisme de l’abstraction, on découvre la légitimité des lois de l’entendement. Abstraire, c’est considérer à part (abs-trahere). C’est étreindre par l’esprit un élément d’une chose, l’être, la grandeur, la couleur, en négligeant les notes individuelles qui s’attachent à cet élément dans la réalité. Considéré à ce premier stade, l’objet conçu n’est ni individuel, ni universel, il est simplement abstrait. Il nous représente un élément qui existe de fait dans la chose extérieure : notre concept représente donc fidèlement la réalité objective, mais ne la reproduit pas intégralement. — Vient ensuite une seconde opération de l’entendement : L’esprit s’empare de cette essence abstraite, absolue, et la conçoit comme applicable à un nombre indéterminé d’êtres de même espèce. Sous le regard de la réflexions, le concept, de purement abstrait devient universel. Mais, non moins que le premier, il est objectif ; car si l’on considère les choses sans leur caractère individuel, elles possèdent réellement des raisons intimes, des déterminations semblables, quoique réellement multipliées. Ce sont ces déterminations qui sont l’objet propre de l’entendement.[1]

En résumé, le concept universel a, comme le concept abstrait,

  1. Cf. Mercier, op. cit., p. 138 et le Cours de Psychologie, 2Me éd. Louvain 1895, p. 333.