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une base objective, et bien que la forme universelle, comme telle, soit un produit de l’entendement, le contenu de cette forme correspond à une réalité du dehors. Ainsi se trouve résolue l’antinomie apparente entre l’individuel de la nature et l’universel de l’entendement.

Ce qui est affirmé d’un grand nombre d’être , ce n’est pas le concept d’un genre ou d’une espèce, mais c’est l’objet même de ce concept ou la nature des choses.[1] Saint Thomas exprime ces idées en cette formule que les explications précédentes rendront claires : l’universel existe comme tel (formaliter) dans l’esprit, mais il a son fondement (fundamentaliter) dans les choses. Quaedam sunt (corum quae significantur nominibus) quae habent fundamentum in re extra animam ; sed complementum rationis corum quantum ad id quod est formale est per operationem animae, ut patet in universali“.[2]

Les dernières générations du XIIe siècle n’ont pas su définir ces théories délicates avec la précision du docteur angélique, mais les idées que nous avons commentées sont contenues dans leurs déclarations. Il est certain que le réalisme mitigé apparaît avant la découverte des grands traités aristotéliciens. La scolastique n’a pas lu dans les pages suggestives de la Métaphysique ou du traité de l’âme la réponse que fait le stagyrite au problème des universaux : elle s’est ralliée à des conclusions en commentant quelques bribes insignifiantes de l’Organon, à la suite de quelques abréviateurs de second ordre ; et si elle s’est haussée jusqu’à la pleine vérité, elle le doit principalement à ses propres efforts.

Nous hésiterions à dire à qui revient l’honneur d’avoir trouvé le premier la formule adéquate du réalisme mitigé. Au rapport de Jean de Salisbury, l’historien des luttes que nous décrivons, Joscelin de Soissons aurait professé la même doctrine qu’Abélard, son contemporain. Elle est encore ébauchée par Robert Tulleyn[3] et reprise dans sses lignes maîtresses par un écrit anonyme de la première moitié du XIIe siècle, liber de generibus et specie-

  1. S. Thomas, de ente et essentia c. IV.
  2. In libr. sentent, I. Dist. XIX. q. 5, a I.
  3. Hauréau. Hist. de la Phil. scol. I. 483. (Paris 1872.)