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bus.[1] Quoi qu’il en soit, c’est dans les dernières années du XIIe siècle que le réalisme modéré marche définitivement à la conquête des intelligences.

On le devine dans les écrits de Simon de Tournai (entre 1176 et 1192) à qui on a fait l’injuste renom de rationaliste. Enfin il apparaît triomphant dans les écrits de Jean de Salisbury.

Penseur distingué, plein d’élégance, on peut dire que Jean de Salisbury résume en sa personnalité les résultats scientifiques de la première partie du moyen âge. Devant la débauche de pensées, qui se traduit dans les dernières élucubrations du panthéisme, cet homme convient vis-à-vis de lui-même de tout contrôler dans les idées d’autrui avant de rien accepter pour vrai. Il se reporte aux grands sceptiques de l’antiquité. Son doute cependant n’est pas le désespoir de connaître ; il est dogmatique, comme l’âge auquel il appartient ; c’est le recueillement prudent d’un homme qui se met sur ses gardes dans la recherche de la vérité. Voilà comment Jean de Salisbury a été amené à faire l’histoire de la philosophie. Il est le premier historien de la philosophie au moyen âge ; il est peut-être aussi un de ses premiers psychologues.

Psychologue, il devait l’être, puisqu’il était observateur. Aussi bien, il n’a pu trouver la formule du réalisme modéré qu’en analysant le processus de nos connaissances, en délimitant ce qui dans la représentation intellectuelle reproduit fidèlement la chose (essence à l’état absolu) et ce qui résulte d’un travail subjectif (forme d’universalité).

La psychologie de Jean de Salisbury met en relief la dépendance des facultés les unes vis-à-vis des autres, et surtout la répercussion de la vie physiologique sur les autres activités de notre être. C’est un avant-goût de la doctrine d’Aristote, vieille de quinze cents ans, mais neuve pour les générations du XIIe siècle.[2]

  1. Cousin l’attribue à Abélard.
  2. Dans la psychologie de Jean de Salisbury, tout ne lui appartient en propre. En effet, par l’intermédiaire des moines du mont Cassin, l’occident a connu dès le XIIe siècle quelques travaux de la philosophie arabe. Au XIIe Constantin l’Africain écrivit un traité où il reprend en psychologie les doctrines arabes, en physiologie celles de Gallien. Jean de Salisbury s’est inspiré de ce traité. Cf. Siebeck. Archiv f. Gesch. d. Philos. I. 528.