Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/109

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aucune peine. Elles avaient un carrosse pour elles, et le prince et moi, nous étions dans l’autre ; seulement quelquefois, là où il savait que c’était nécessaire, j’entrais dans leur carrosse, et il montait à cheval avec un certain gentilhomme de l’escorte.

Je ne dirai plus rien du voyage, si ce n’est que, lorsque nous arrivâmes à ces effrayantes montagnes, les Alpes, il n’y eut plus moyen de voyager dans nos carrosses ; il ordonna donc de se procurer pour moi une litière à cheval, mais portée par des mules, et lui-même alla à cheval. Les carrosses retournèrent à Lyon par quelque autre chemin. Nous fîmes ensuite louer à Turin des carrosses qui vinrent au devant de nous jusqu’à Suze ; de sorte que nous nous trouvâmes équipés de nouveau, et nous allâmes par petites journées à Rome où ses affaires, quelle qu’en fût la nature, l’appelaient à séjourner quelque temps, puis, de là, à Venise.

Il tint réellement sa parole jusqu’au bout ; car j’eus le plaisir de sa compagnie et, en un mot, j’accaparai sa conversation presque tout le long du chemin. Il se plaisait à me montrer tout ce qu’il y avait à voir, et particulièrement à me raconter un peu de l’histoire de tout ce qu’il me montrait.

Que de soins précieux furent alors prodigués et perdus pour une personne qu’il était certain d’abandonner en fin de compte avec des regrets ! Combien, dans toute cette affaire, cet homme de qualité, doué de mille perfections, ne fut-il pas au-dessous de lui-même ! C’est là une de mes raisons pour entrer dans ces détails qui, sans cela, ne vaudraient pas la peine d’être rapportés. Si j’avais été sa fille ou sa femme, on eût pu dire qu’il avait un légitime intérêt à leur instruction ou à leur perfectionnement, et sa conduite eût été admirable. Mais tout cela pour une catin ! pour une femme qu’il n’emmenait avec lui à aucun titre dont on pût raisonnablement convenir, mais dans le seul but de satisfaire la plus basse des fragilités humaines ! C’était là l’étonnant. Tel est cependant le pouvoir d’un penchant vicieux. Bref, la luxure était son péché mignon et le pire écart auquel il se livrât, car c’était d’ailleurs une des plus excellentes personnes du monde. Pas de colères, pas d’emportements furieux, pas d’orgueilleuse ostentation. C’était l’être le plus modeste, le