Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/110

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plus courtois, le plus affable qui fût. Pas un juron, pas un mot indécent, pas la moindre faute de tenue ne pouvait se remarquer dans son commerce, hors ce que nous avons déjà excepté ; et cela m’a donné occasion de faire maintes sombres réflexions depuis, quand je regardais en arrière et pensais que j’avais été le piège où s’était prise l’existence d’un tel homme, que je l’avais entraîné à une si grande perversité, et que j’avais été dans la main du diable l’instrument destiné à lui causer tant de préjudice.

Nous fûmes près de deux ans à accomplir cette grandiose excursion, comme on peut l’appeler ; pendant la plus grande partie de ce temps je résidai à Rome et à Venise, n’ayant été que deux fois à Florence et une fois à Naples. Je fis, en tous ces endroits, quelques observations intéressantes et utiles, particulièrement sur la conduite des dames ; car j’avais l’occasion d’en fréquenter beaucoup, grâce à la vieille sorcière qui voyageait avec nous. Elle avait été à Naples et à Venise, et avait demeuré plusieurs années dans la première de ces villes, où, comme je le découvris plus tard, elle n’avait mené qu’une vie relâchée, comme, d’ailleurs, la mènent les femmes de Naples en général ; bref, je trouvai qu’elle était parfaitement au courant de tous les genres d’intrigues de cette partie de l’univers.

Monseigneur y acheta une petite esclave turque qui, prise en mer par un vaisseau de guerre maltais, avait été amenée jusque là. J’appris d’elle la langue des Turcs, leur manière de se vêtir et de danser et quelques chansons turques, ou plutôt mauresques, dont je me servis à mon avantage dans une occasion extraordinaire, quelques années plus tard, comme vous l’apprendrez en son lieu. Je n’ai pas besoin de dire que j’appris aussi l’italien, car je n’étais pas là depuis un an que déjà je le possédais assez bien ; et comme j’avais suffisamment de loisir et que j’aimais cette langue, je lisais tous les livres italiens que je pouvais me procurer.

Je devins si amoureuse de l’Italie et spécialement de Naples et de Venise, que j’aurais été très contente de faire venir Amy et d’y établir ma résidence pour toute ma vie.