Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/121

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honnêteté dans sa physionomie, que je ne me fis aucun scrupule de lui raconter toute mon histoire, c’est-à-dire que j’étais veuve, que j’avais quelques bijoux dont je voulais disposer, et aussi quelque argent que je désirais envoyer en Angleterre pour y aller ensuite moi-même ; mais qu’étant une femme, et n’ayant pas de correspondants à Londres ni nulle part ailleurs, je ne savais que faire, ni comment garantir mes biens.

Il en agit avec beaucoup de franchise avec moi ; mais il me conseilla, lorsqu’il sut ma situation dans ses détails, de prendre des lettres de change sur Amsterdam et d’aller en Angleterre par cette voie ; car je pourrais déposer mon trésor à la banque de cette ville de la manière la plus sûre du monde, et il me recommanderait à un homme qui se connaissait parfaitement en joyaux et qui traiterait loyalement avec moi pour en disposer.

Je le remerciai ; mais j’hésitais beaucoup à voyager si loin dans un pays étranger, surtout chargée d’un tel trésor : déclaré ou caché, je ne voyais pas comment je pourrais m’aventurer avec. Il me dit alors qu’il tâcherait d’en disposer ici, c’est-à-dire à Paris, et de le convertir en argent, de façon à me faire avoir des lettres de change pour le tout ; et, au bout de quelques jours, il m’amena un Juif qui disait vouloir acheter les joyaux. Mais dès que le Juif vit ces joyaux, je vis, moi, ma folie. Il y avait dix mille chances contre une pour que je fusse ruinée, et peut-être mise à mort aussi cruellement que possible ; et cela me causa un tel effroi que je fus sur le point de fuir pour sauver ma vie, abandonnant les joyaux et l’argent avec aux mains du Hollandais, sans lettres de change, ni quoi que ce soit. Voici l’affaire :

Aussitôt que le Juif vit les joyaux, il se mit à baragouiner en hollandais ou en portugais au marchand. Je pus m’apercevoir immédiatement qu’ils étaient saisis d’une grande surprise tous les deux. Le Juif levait les mains, me regardait avec une sorte d’horreur, puis se remettait à parler hollandais, se contorsionnant le corps en mille formes, se tordant le visage tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, pendant qu’il parlait, frappant du pied, jetant les mains en avant, comme s’il était, non pas simplement