Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/120

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(je me considérais, en effet, comme anglaise, bien que je fusse née en France), je croyais, dis-je, que là je pourrais mieux gouverner mes affaires qu’en France ; que, du moins, je serais moins en danger d’être circonvenue et trompée. Mais comment m’en aller avec un trésor comme celui que j’avais avec moi ? C’était là un point difficile, et sur lequel j’étais grandement embarrassée.

Il y avait à Paris un marchand hollandais qui jouissait d’une grande réputation de solidité et d’honnêteté ; mais je n’avais aucune espèce de relations avec lui, et je ne savais comment arriver à faire sa connaissance de manière à lui découvrir ma position. Mais à la fin je chargeai ma servante Amy (il faut qu’on me permette de l’appeler ainsi, malgré ce qui a été dit d’elle, parce qu’elle occupait chez moi la place d’une servante), je chargeai, dis-je, ma servante Amy d’aller le trouver : elle obtint une recommandation de quelque autre personne, je n’ai pas su qui, et se procura auprès de lui un assez facile accès.

Mais, maintenant, mon cas était aussi mauvais que devant ; car, même en allant le trouver, que pouvais-je faire ? J’avais de l’argent et des joyaux par une valeur énorme, et je pouvais laisser tout cela chez lui : je le pouvais, sans doute, et je le pouvais aussi chez plusieurs autres marchands de Paris qui m’auraient donné des lettres de change payables à Londres. Mais alors je faisais courir un hasard à mon argent : je ne connaissais personne à Londres à qui envoyer les lettres de change, de façon à rester à Paris jusqu’à ce que j’eusse avis qu’elles étaient acceptées, car je n’avais aucun ami à Londres à qui je pusse avoir recours ; de sorte qu’en vérité je ne savais que faire.

En un tel cas, je n’avais d’autre remède que de me confier à quelqu’un. J’envoyai donc Amy à ce marchand hollandais, comme je l’ai dit. Il fut un peu surpris lorsque Amy vint lui parler de faire passer une somme d’environ douze mille pistoles en Angleterre, et il se prit à penser qu’elle venait pour pratiquer quelque escroquerie à son détriment. Mais lorsqu’il vit qu’Amy n’était qu’une servante, et lorsque je lui eus fait visite moi-même, l’affaire changea de face immédiatement.

Après être allée chez lui, je vis tout de suite une telle droiture dans sa manière de traiter les affaires et une telle