Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/140

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Dès que nous pûmes obtenir un canot de la ville, nous allâmes à terre, et aussitôt dans un cabaret de la ville de Harwich. Là nous eûmes à considérer sérieusement ce qu’il y avait à faire, si nous remontrions jusqu’à Londres, ou si nous attendrions que le navire fût radoubé, ce qui, disait-on, prendrait une quinzaine, pour aller ensuite en Hollande, comme nous en avions l’intention et comme les affaires le demandaient.

La raison m’indiquait d’aller en Hollande, car j’y avais tout mon argent à recevoir, et il y avait là des personnes de bonne réputation et bien considérées à qui m’adresser, puisque j’avais pour elles des lettres de l’honnête marchand hollandais de Paris ; ces personnes pourraient peut-être me donner à leur tour des recommandations pour des marchands de Londres, et je ferais ainsi la connaissance de gens bien situés, ce qui était justement ce que je désirais ; tandis que maintenant je ne connaissais pas un être vivant dans toute la cité de Londres, ni nulle part ailleurs, auprès de qui je pusse aller me faire reconnaître. Devant ces considérations, je résolus d’aller en Hollande, quoi qu’il arrivât.

Mais Amy pleurait et tremblait, et était prête à tomber dans des attaques de nerfs, à la seule idée de reprendre la mer. Elle me suppliait de ne pas partir, ou, si je voulais partir, de la laisser derrière, quand même je devrais l’envoyer mendier son pain. Les gens de l’auberge riaient d’elle, la plaisantaient, lui demandaient si elle avait des péchés à confesser qu’elle avait honte qu’on entendît, et si elle était troublée par une mauvaise conscience. Une fois en mer et au milieu d’une tempête, lui disait-on, si elle avait couché avec son maître, elle le dirait sûrement à sa maîtresse, car c’était une chose commune pour les pauvres servantes que de déclarer tous les jeunes gens avec qui elles avaient couché : il y avait une pauvre fille qui passait sur le continent avec sa maîtresse, dont le mari avait telle profession dans tel endroit de la cité de Londres ; elle confessa, dans l’horreur d’une tempête, qu’elle avait couché avec son maître et avec tous les apprentis, tant de fois, en tels et tels endroits ; cela fit que la pauvre maîtresse, lorsqu’elle revint à Londres,