Aller au contenu

Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les contrastes dans la condition d’une femme mariée et dans celle d’une femme entretenue sont si nombreux et tels, j’ai vu depuis cette différence avec de tels yeux, que je pourrais m’arrêter longtemps sur ce sujet. Mais mon affaire est de raconter. J’avais une longue carrière de folie à parcourir encore. La morale de mon récit peut me ramener sur ce sujet, et si cela arrive, j’en parlerai jusqu’au bout.

Pendant que je séjournais en Hollande, je reçus plusieurs lettres de mon ami (j’avais bien lieu de l’appeler de ce nom) le marchand de Paris, où il me donnait d’autres détails sur la conduite de cette canaille de Juif et sur ce qu’il avait fait après mon départ, sur son impatience pendant que ledit marchand le tenait en supens dans l’espoir que je viendrais, et sa rage, quand il s’aperçut que je ne revenais plus.

Il paraît qu’après avoir vu que je ne revenais pas, il découvrit, à force de persistantes recherches, la maison où j’avais demeuré, et que j’y avais été entretenue en qualité de maîtresse par quelque grand personnage ; mais il ne put jamais savoir par qui ; seulement il apprit la couleur de sa livrée. En poursuivant ses recherches, ses soupçons tombèrent sur la véritable personne ; mais il ne put s’en assurer, ni en offrir aucune preuve positive. Cependant, il découvrit le gentilhomme du prince, et lui parla de cela si insolemment que ce gentilhomme le traita, comme disent les Français, a coup de baton[1], c’est-à-dire lui donna une vigoureuse bastonnade, comme il le méritait. Cela ne le satisfaisant pas, ni ne le guérissant de son insolence, il fut rencontré un soir, sur le Pont-Neuf, par deux hommes, qui l’enveloppèrent dans un grand manteau, l’emportèrent en lieu plus discret, et lui coupèrent les oreilles, lui disant que c’était pour avoir parlé impudemment de ses supérieurs, et ajoutant qu’il eût à prendre garde à mieux gouverner sa langue et à se conduire plus convenablement ; sinon que, la prochaine fois, ils lui arracheraient la langue de la bouche.

Ceci mit un frein à son insolence de ce côté ; mais il revint au marchand et le menaça de lui intenter un procès comme

  1. Ainsi écrit dans le texte de Defoe. (N. D. T.)