Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/154

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perte de sa femme et d’un de ses enfants qui l’avait en effet affecté beaucoup ; mais cela n’avait rien à faire avec ce qu’il avait à me proposer, par quoi, si j’y consentais, je m’acquitterais de toutes mes obligations ; bref, cette proposition était que, voyant que la Providence lui avait (comme si c’eût été dans cet exprès dessein) retiré sa femme, je voulusse bien remplacer pour lui ce qu’il avait perdu. Et en même temps, il me tenait serrée dans ses bras, m’ôtait, en m’embrassant, la liberté de dire non, et me laissait à peine respirer.

À la fin, ayant trouvé le moyen de parler, je lui dis que, comme je l’avais déclaré auparavant, je ne pouvais lui refuser qu’une chose au monde : j’étais fâchée qu’il me proposât justement la seule chose que je ne pusse accorder.

Je ne pouvais m’empêcher de sourire, cependant, à part moi, de ce qu’il faisait tant de circonlocutions et de détours pour en arriver à des paroles qui n’avaient au fond rien de si merveilleux, s’il avait su tout. Mais il y avait une autre raison pour laquelle j’étais résolue à ne pas le prendre ; et, en même temps, s’il m’avait courtisée d’une manière moins honnête ou moins vertueuse, je crois que je ne l’aurais pas refusé. Mais j’arriverai à cela tout à l’heure.

Comme je l’ai dit, il avait été long à faire sa déclaration ; mais lorsqu’il l’eut faite, il l’appuya d’instances qui n’admettaient aucun refus ; c’était, du moins, son intention. Toutefois j’y résistai obstinément, bien qu’avec toutes les expressions imaginables de la plus grande affection et du plus grand respect, lui répétant souvent qu’il n’y avait rien autre chose au monde que je pusse lui refuser, lui montrant la même déférence, et, en toute occasion, le traitant avec la même confiance intime et la même liberté que s’il avait été mon frère.

Il essaya tous les moyens imaginables pour faire passer son dessein ; mais je fus inflexible. À la fin, il songea à un expédient qui, il s’en flattait, ne devait pas échouer. Et il ne se serait peut-être pas trompé, avec toute autre femme au monde que moi. C’était d’essayer s’il pourrait me surprendre et m’approcher au lit ; car après cela, il était très rationnel de croire que je serais assez disposée à l’épouser.