Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ce serait d’une barbarie un peu gothique, mais que ce serait aussi un germe perpétuel de discorde entre nous, et que cela nous rendrait suspects l’un à l’autre ; si bien qu’en somme je fus obligée de donner à la chose un nouveau tour et de le prendre sur une sorte de ton élevé qui n’était réellement pas du tout dans mon esprit d’abord ; car j’avoue, comme je l’ai dit, que l’idée qu’il me dépossèderait de ma fortune et me retirerait l’argent des mains était en résumé toute la cause qui me faisait refuser de l’épouser. Mais, dis-je, pour l’occasion, je donnai à la chose un nouveau tour que voici :

Je lui dis que j’avais peut-être sur le mariage des notions différentes de celles que la coutume établie nous en a données. Je croyais que la femme était un être libre, aussi bien que l’homme ; qu’elle était née libre, et que, si elle savait se conduire convenablement, elle pouvait jouir de cette liberté avec autant de profit que le font les hommes. Mais les lois du mariage étaient faites autrement, et, cette fois, le genre humain avait agi par des principes tout autres, à ce point qu’une femme en se mariant abandonnait entièrement la libre possession d’elle-même et ne se réservait tout au plus que d’être une servante d’un ordre supérieur. Du moment qu’elle avait pris un mari, elle n’était ni mieux ni pis que le serviteur chez les Israélites, après qu’il avait eu les oreilles perforées, c’est-à-dire percées d’un clou contre un montant de porte, et que, par cet acte, il s’était livré à la servitude pour le reste de sa vie. La véritable nature du contrat matrimonial n’était, en somme, rien autre chose que l’abandon de liberté, des biens, de l’autorité, de tout, à l’homme, et la femme n’était plus véritablement dès lors qu’une simple femme à tout jamais, c’est-à-dire une esclave.

Il répliqua que, bien qu’à certains égards il en fût comme je le disais, je devrais cependant considérer comme une compensation équivalente que tous les soucis sont dévolus à l’homme. Le fardeau des affaires pèse sur ses épaules, et s’il a le dépôt, il a aussi la fatigue de la vie. À lui les labeurs ; à lui, les anxiétés de l’existence. La femme n’a rien à faire qu’à manger les gros morceaux et à boire les doux breuvages, à rester tranquille sur sa chaise et à regarder autour d’elle, à être entourée de