Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/19

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faim ; aussi les voisins, voyant la pauvre dame dans une telle misère, — elle pleurait et se tordait les mains sur ses enfants, comme une folle, — envoyèrent chercher les officiers de la paroisse pour prendre soin des enfants. Ils vinrent et prirent le plus jeune, qui était né dans cette paroisse ; ils lui ont donné une très bonne nourrice et prennent soin de lui. Mais, quant aux quatre autres, ils les ont envoyés à quelques parents du père, qui sont des gens très à l’aise, et qui, de plus, demeurent dans la paroisse où les enfants sont nés.

» La surprise ne m’empêcha pas de prévoir immédiatement que cet ennui retomberait sur vous ou sur M.***. Aussi venais-je sans tarder vous en avertir afin que vous y fussiez préparée et que vous ne fussiez pas surprise vous-même ; mais je vois qu’ils ont été plus prompts que moi, et je ne sais que conseiller. La pauvre femme, à ce qu’il paraît, a été jetée à la porte, dans la rue. Un autre voisin m’a dit qu’en se voyant enlever ses enfants elle s’évanouit ; et lorsqu’elle eut repris ses sens, elle était devenue folle. La paroisse l’a fait mettre dans la maison de fous, car il n’y a plus personne pour s’occuper d’elle. »

Tout ceci fut représenté au naturel par cette pauvre bonne et affectueuse créature. Son intention était parfaitement bonne et charitable ; mais encore n’y avait-il pas un mot de vrai dans ce qu’elle racontait ; car mon propriétaire ne m’avait pas mise à la porte, et je n’étais pas devenue folle. Il était vrai, pourtant, qu’en me séparant de mes pauvres enfants, je m’étais évanouie, et que je fus comme insensée lorsque je revins à moi et trouvai qu’ils étaient partis. Mais je restai longtemps encore dans la maison, comme vous le verrez.

Pendant que la pauvre femme contait sa lugubre histoire, le mari de la dame entra. Bien que le cœur de celle-ci fut endurci contre toute pitié, elle qui était la véritable et proche parente des enfants, puisque c’étaient les enfants de son propre frère, — l’excellent homme fut tout attendri par le sombre tableau de la situation de la famille, et lorsque la pauvre femme eut terminé, il dit à sa femme :

« C’est un cas bien triste, ma chère, vraiment ; et il faut faire quelque chose. »