Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/191

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quart d’heure, j’étais assise de nouveau dans mon salon. Quand j’y entrai, la chambre était pleine de monde, mais j’ordonnai de fermer les portes grandes pendant une ou deux minutes, jusqu’à ce que j’eusse reçu les compliments des dames qui se trouvaient dans la chambre et que je leur eusse laissé voir mon costume à loisir.

Cepenpant mylord *** qui se trouvait être dans la chambre, se glissa par une autre porte et ramena avec lui un des masques, personnage grand et bien fait, mais qui n’avait pas de nom, étant absolument masqué ; et il n’aurait pas été convenable de demander le nom de personne en une telle occasion. Ce personnage me parla en français et me dit que c’était le plus beau costume qu’il eût vu de sa vie. Il me demanda s’il aurait l’honneur de danser avec moi. Je m’inclinai en consentant, mais je lui dis que, comme j’étais mahométane, je ne savais pas danser à la manière de ce pays-ci, et je supposais que la musique ne jouerait pas à la Moresque. Il répondit gaiement que j’avais un visage de chrétienne, et qu’il imaginait que je savais danser en chrétienne, ajoutant que tant de beauté ne pouvait être mahométane. Aussitôt les portes furent ouvertes à deux battants, et il me conduisit dans la salle. La compagnie fut saisie de la plus grande surprise imaginable ; la musique même s’arrêta un instant pour regarder, car le costume était en vérité excessivement imposant, parfaitement nouveau, très agréable et merveilleusement riche.

Ce gentleman, quel qu’il fût, et je ne le sus jamais, me conduisit seulement pendant une courante, puis me demanda si j’aurais l’envie de danser une danse bouffonne, comme ils l’avaient fait dans la mascarade, ou quelque chose seule. Je lui dis que je préférerais n’importe quoi d’autre, s’il lui plaisait. Nous ne dansâmes donc que deux danses françaises, et il me conduisit jusqu’à la porte du salon, puis se retira au milieu du reste des masques. Lorsqu’il m’eut laissée à la porte du salon, je n’y entrai point, comme il pensait que je l’aurais fait ; mais je me retournai, me faisant voir à toute la salle ; puis j’appelai ma femme de chambre et lui donnai quelques ordres relatifs à la musique, d’où la société conclut aussitôt que j’allais lui offrir