Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/23

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reste ; mais je ne pouvais pas plus y subvenir à mes besoins et à ceux d’Amy, que lorsque j’y étais avec mes cinq enfants. Je n’avais rien pour vivre que ce que je pouvais gagner par mon travail, et ce n’était pas une ville où il fût possible de se procurer beaucoup d’ouvrage.

Mon propriétaire avait été véritablement très bon après avoir appris la position où j’étais, bien qu’avant d’avoir été informé de ces circonstances, il fût allé jusqu’à saisir mes effets et même jusqu’à m’en enlever quelques-uns.

Mais, depuis, il y avait trois trimestres que j’habitais sa maison et que je ne lui payais pas de loyer, et, ce qui était pire, je n’étais pas en position de lui en payer aucun. Cependant, je remarquais qu’il venait me voir plus souvent, qu’il se montrait de plus en plus bienveillant à mon égard, et qu’il me parlait plus amicalement qu’il n’avait l’habitude de le faire. Plus particulièrement, les deux ou trois dernières fois qu’il était venu, il avait remarqué, avait-il dit, comme je vivais pauvrement, combien bas j’étais réduite, et autres choses semblables. Il me disait que cela l’affligeait pour moi. La dernière fois, il fut plus tendre encore : il me dit qu’il venait dîner avec moi, et qu’il fallait que je lui donne congé de me régaler. Il fit venir ma servante Amy, et l’envoya acheter un rôti. Il lui expliqua ce qu’elle devait acheter. Mais comme il nommait deux ou trois choses parmi lesquelles elle pouvait choisir, la servante, fille rusée qui m’était attachée comme l’ongle au doigt, n’acheta rien définitivement ; mais elle amena avec elle le boucher, portant les deux choses qu’elle avait choisies, pour qu’il prît celle qui serait le plus à son goût. L’une était un gros et très bon cuissot de veau ; l’autre un carré de côtes de bœuf, à rôtir. Il les regarda ; mais il me pria de faire marché à sa place avec le boucher, ce que je fis ; puis je revins lui dire ce que le boucher demandait pour les deux morceaux, et le prix de chacun des deux. Il tira alors onze shillings et trois pence, prix des deux pièces ensemble, et me pria de les prendre toutes les deux. Le reste, dit-il, servirait une autre fois.

J’étais étonnée, vous pouvez le croire, de la libéralité d’un homme qui faisait naguère encore ma terreur et qui avait