Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/43

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comme sa femme ; et il assurait qu’il était évident pour lui qu’il le pouvait faire légitimement. Il ajoutait que j’étais parfaitement libre, en m’affirmant, par tout ce qu’il est possible à un honnête homme de dire, qu’il me traiterait comme sa femme tant qu’il vivrait. En un mot, il vainquit tout le peu de résistance que je voulais faire.

Il protestait qu’il m’aimait plus que tout au monde, et me priait de le croire une fois. Il ne m’avait jamais trompée et ne me tromperait jamais ; mais il s’appliquerait à me rendre la vie bonne et heureuse, et à me faire oublier les malheurs que j’avais traversés.

Je restai immobile un moment, sans rien dire. Mais voyant qu’il attendait anxieusement ma réponse, je souris, et lui dis en le regardant :

« Quoi ! je dois donc dire oui dès qu’on me le demande ? Je dois compter sur votre promesse ? Eh bien, donc, sur la foi de cette promesse, et pénétrée de cette inexprimable bonté que vous m’avez montrée, je ferai ce que vous voulez, et je serai toute à vous jusqu’à la fin de ma vie. »

Sur ces mots, je lui pris la main ; il retint la mienne, et y mit un baiser.

Et ainsi, par gratitude pour les bienfaits que j’avais reçus d’un homme, tout sentiment de religion, de devoir envers Dieu, toute considération de vertu et d’honneur furent abandonnés d’un coup ; et nous allions nous appeler mari et femme, nous qui, d’après le sens des lois de Dieu et du pays, n’étions que deux adultères, en un mot, une prostituée et un coquin. Et, comme je l’ai dit plus haut, ma conscience n’était pas muette alors, bien qu’elle semblât l’être ; je péchais les yeux ouverts, et je me chargeai ainsi d’une double faute. Pour lui, je l’ai toujours dit, ses vues étaient autres, soit qu’il fût déjà d’opinion auparavant, soit qu’il se fût convaincu pour la circonstance, que nous étions tous les deux libres, et que nous pouvions légitimement nous marier.

J’étais tout à fait d’un avis différent, à coup sûr, et mon jugement ne se trompait pas ; mais l’état où j’étais fut ma tentation ; l’effroi de mon passé m’apparut plus sombre que l’effroi