Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

belle pour y recevoir ses visites. Il me dit, au contraire, que ma maison était la plus convenable qui se pût trouver dans tout Paris pour un amant, spécialement pour lui, ayant une sortie sur trois rues différentes, et n’étant dominée par aucun voisin, de sorte qu’il pouvait passer et repasser sans être aucunement observé. En effet, une des sorties de derrière donnait sur une allée sombre, laquelle allée était un passage en communication d’une rue dans une autre ; et quiconque entrait ou sortait par cette porte n’avait qu’à s’assurer qu’il n’y avait personne à le suivre dans l’allée avant qu’il arrivât à la porte. Je reconnaissais que cette prière était très raisonnable. Je l’assurai donc que je ne changerais pas de logement, voyant que Son Altesse ne trouvait pas celui-ci trop médiocre pour y être reçu par moi.

Il désira aussi que je ne prisse aucun autre domestique, ni ne me montasse aucun équipage, du moins pour le moment ; parce qu’on en conclurait immédiatement que j’avais été laissée veuve avec une très grande fortune : je serais alors assiégée de l’impertinence d’une foule d’admirateurs, attirés par l’argent aussi bien que par la beauté d’une jeune veuve ; et lui serait fréquemment interrompu dans ses visites. Ou bien le monde conclurait que j’étais entretenue par quelqu’un et serait infatigable à trouver qui ; de sorte qu’il y aurait à le guetter, chaque fois qu’il sortirait ou entrerait, des espions qu’il serait impossible de dépister, et qu’on raconterait immédiatement dans tous les cabinets de toilette de Paris que le Prince de *** avait pris la veuve du joaillier pour maîtresse.

Cela était trop juste pour qu’on s’y opposât et je ne fis aucun scrupule de dire à Son Altesse que, puisque j’avais failli jusqu’au point de me faire sienne, il devait avoir toute la certitude possible que j’étais sienne entièrement ; que je prendrais toutes les mesures qu’il lui plairait de m’indiquer, pour éviter les impertinentes attaques d’autrui ; et que, s’il le jugeait convenable, je resterais complètement à la maison, et ferais répandre le bruit que j’étais obligée d’aller en Angleterre pour y suivre mes affaires après le malheur de mon mari, et qu’on n’attendait pas mon retour avant un an ou deux au moins. Ceci lui plut beaucoup ; seulement il dit qu’il ne voulait en aucune manière, me