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MOLL FLANDERS

je vous aurais soupçonnée de n’être point entrée dans cette boutique avec le dessein d’y acheter ; car l’espèce de gens qui viennent aux fins dont on vous avait accusée sont rarement gênés par l’or qu’ils ont dans leurs poches, ainsi que je vois que vous en avez.

Je souris et dis à Sa Dignité que je voyais bien que je devais à mon argent quelque peu de sa faveur, mais que j’espérais qu’elle n’était point sans être causée aussi par la justice qu’il m’avait rendue auparavant. Il dit que oui, en effet, mais que ceci confirmait son opinion et qu’à cette heure il était intimement persuadé qu’on m’avait fait tort. Ainsi je parvins à me tirer d’une affaire où j’arrivai sur l’extrême bord de la destruction.

Ce ne fut que trois jours après que, nullement rendue prudente par le danger que j’avais couru, contre ma coutume et poursuivant encore l’art où je m’étais si longtemps employée, je m’aventurai dans une maison dont je vis les portes ouvertes, et me fournis, ainsi que je pensai, en vérité, sans être aperçue, de deux pièces de soie à fleurs, de celle qu’on nomme brocart, très riche. Ce n’était pas la boutique d’un mercier, ni le magasin d’un mercier, mais la maison semblait d’une habitation privée, où demeurait, paraît-il, un homme qui vendait des marchandises destinées aux tisserands pour merciers, sorte de courtier ou facteur de marchand.

Pour abréger la partie noire de cette histoire, je fus assaillie par deux filles qui s’élancèrent sur moi, la bouche ouverte, dans le moment que je sortais par la porte, et l’une d’elles, me tirant en arrière, me fit rentrer dans la chambre, tandis que l’autre fermait la porte sur moi. Je les eusse payées de bonnes paroles, mais je n’en pus