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Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/349

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MOLL FLANDERS

ment aussi exquis qu’il se peut pour une personne, qui, ainsi que moi, avait de la vie, de la santé, et de l’argent pour s’aider.

J’avais sur moi un poids de crime qui eût suffi à abattre toute créature qui eût gardé le moindre pouvoir de réflexion, ou qui eût encore quelque sentiment du bonheur en cette vie ou de la misère en l’autre : j’avais eu d’abord quelque remords, en vérité, mais point de repentir ; je n’avais maintenant ni remords ni repentir. J’étais accusée d’un crime dont la punition était la mort ; la preuve était si manifeste que je n’avais point lieu même de plaider « non coupable » ; j’avais le renom d’une vieille délinquante, si bien que je n’avais rien à attendre que la mort ; ni n’avais-je moi-même aucune pensée d’échapper et cependant j’étais possédée par une étrange léthargie d’âme ; je n’avais en moi ni trouble, ni appréhensions, ni douleur ; la première surprise était passée ; j’étais, je puis bien dire, je ne sais comme ; mes sens, ma raison, bien plus, ma conscience, étaient tout endormis : mon cours de vie pendant quarante ans avait été une horrible complication de vice, de prostitution, d’adultère, d’inceste, de mensonge, de vol et en un mot, j’avais pratiqué tout, sauf l’assassinat et la trahison, depuis l’âge de dix-huit ans ou environ jusqu’à soixante ; et pourtant je n’avais point de sens de ma condition, ni de pensée du ciel ni de l’enfer, du moins qui allât plus loin qu’un simple effleurement passager, comme le point ou aiguillon de douleur qui avertit et puis s’en va ; je n’avais ni le cœur de demander la merci de Dieu, ni en vérité d’y penser. Et je crois avoir donné ici une brève description de la plus complète misère sur terre.