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UNE DIRECTION : LE POSITIVISME 27

l'enthousiasme des premiers contacts, Comte puisse s'écrier : « Mon esprit a fait plus de chemin depuis six mois que dure notre liaison, qu'il n'en aurait fait en trois ans, si j'avais été seul. » Même à ce moment, Saint-Simon n'est donc pour lui qu'un accélérateur.

Précédemment, Augustin Thierry avait été le se- crétaire de Saint-Simon pendant deux ans. Or, à ma connaissance, on n'a jamais parlé d'une contribution saint-simonienne à ses travaux historiques.

Le vrai, pour Comte comme pour Augustin Thierry, c'est que Saint-Simon, très habilement, sut profiter de leur naïveté. Et si Comte se laissa faire un peu plus longtemps, c'est que sa provision de candeur et sa matière exploitable étaient plus abon- dantes.

Comment supposer qu'un vieux routier, agioteur, libertin, ait pu être dupe de Comte, surtout quand on sait la rectitude morale de celui-ci, le soin méti- culeux qu'il prend toujours à marquer ce qu'il doit aux prédécesseurs, son souci dominant de filia- tion?

On en vient à avancer des contre-vérités de ce genre : « Il n'y a point de société possible sans idées « morales communes », fait-il écrire (Saint-Simon), en 1817, par Comte, alors son secrétaire ». Or c'est là une idée essentiellement comtiste, inassimilable au saint-simonisme. Saint-Simon était de l'école platement utilitaire de Bentham, comme James et John Stuart Mill. Pour lui, ce qui était utile était moral, et ce qui était utile à l'individu l'était à l'es- pèce. Comte, au contraire, montre que Tégoïsme, surexcitant toujours les instincts antagoniques, ne peut réaliser l'unité ni individuelle ni sociale.