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À peine il achève,
Le sable se lève
Ainsi qu’une tour,
S’étend, se déroule
Et sur cette foule
Fond comme un vautour.
L’immense savane.

Sous ce ciel si beau :
De la caravane
Devient le tombeau.

Malgré sa monotonie, cette terre a sa beauté. Les plus humbles villages offrent parfois des scènes qui sont des tableaux. La rive du Nil, garnie de ruinés antiques, de cabanes de jonc, forme le premier plan. Au fond, c’est le désert rougeâtre, aride, nu ; puis, le ciel de saphir. Les personnages de cette scène n’ont pas moins de caractère que la nature qui les encadre. Un turc assis sur un tronçon de colonne, fume tranquillement son chibouk, dont la vapeur flotte en boucle d’azur au-dessus de son turban ; un aveugle marche à tâtons parmi des tombeaux dégradés ; des femmes voilées reviennent de la fontaine, la tête couronnée d’une amphore d’argile ; une mère accroupie sur le seuil de sa porte fait sauter son nourrisson dans ses bras ; des Santons adossés tout nus au parvis d’une mosquée, les coudes appuyés sur leurs genoux et le menton caché dans leurs mains, attendent l’aumône des fidèles, mais ne la demandent pas ; plus loin, des chameaux broutent les feuilles d’un sycomore ou s’abreuvent à une mare d’eau ; d’autres, se couchent à plat ventre sur le sable et y étendent leur long cou pour dormir. Enfin, l’air aussi a ses scènes pittoresques : tantôt, une cigogne tenant au bec une couleuvre, vole vers la pointe d’un minaret où elle a son nid ; tantôt, un épervier fond des régions les plus élevées du ciel sur un pigeon timide qu’il saisit dans ses serres et qu’il emporte tout palpitant et tout ensanglanté.

Louis Delatre.