Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/10

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dans l’esprit qu’il faut enseigner et instruire la jeunesse en l’amusant, que se sont multipliés les drames et les livres de morale en action, affublés d’un but moral, dont le faux brillant a séduit tous les pères de famille, et leur a fait croire que les pièces de théâtre et les romans ainsi déguisés, loin d’offrir des dangers à la jeunesse, deviendraient au contraire une école et un enseignement de bonnes mœurs et de vertu. Il en est arrivé que l’usage de conduire les enfants, même en bas âge, au théâtre, et celui si pernicieux qui s’est établi de nos jours de créer pour eux des petits auteurs, de petites pièces, de petits acteurs et de petites salles, ont eu le grave inconvénient, après avoir ôté aux véritables auteurs dramatiques et romanciers la liberté et la hardiesse, dont leur art ne saurait se passer, d’initier la jeunesse à des plaisirs qui ne lui sont évidemment pas destinés ; car la présence seule d’un collégien ou d’une petite pensionnaire au théâtre français suffit pour faire trouver George Dandin et l’École des femmes des pièces révoltantes par tout le reste de l’auditoire.

Mais en revenant à la question principale, je penche à croire que la lecture des romans doit avoir plus d’inconvénient en France que dans la plupart des autres contrées de l’Europe. Le développement de l’adolescence est généralement tardif dans notre pays, surtout chez les femmes ; et il arrive fréquemment que le progrès de leur intelligence précède de beaucoup celui de leur personne. Si, en pareil cas, les hasards de la vie leur offrent moins de danger, la lecture des romans leur devient souvent funeste en développant en elles des passions factices qui n’occupent que leur tête, qui convertissent toutes les réalités en chimères, donnent la plupart du temps une activité nerveuse à toutes leurs actions, et font de ces jeunes filles des femmes languissantes, valétudinaires et ordinairement très-malheureuses. Malgré la bizarrerie de ma proposition, je ne craindrai donc pas d’affirmer que les romans sont beaucoup moins dangereux pour les jeunes gens des deux sexes chez qui la vie est abondante, forte et active, que pour ceux d’une constitution faible, et sur qui les idées ont plus d’empire que la réalité.

Quant aux garçons, le danger pour eux n’est pas tant dans la lecture des romans, qui n’offrent guère qu’un passe-temps