Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/150

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sans doute, mais il suffit à Segni d’en lire quelques pages pour s’apercevoir que celui qui l’avait écrite était au courant du sujet, connaissait à fond la cour de Rome, et avait destiné son livre à des lecteurs tout autres que ceux qui se contentaient des prétendues fêtes données à Babylone. Cet écrit excita sa curiosité et ses inquiétudes au point qu’il n’alla se coucher qu’après l’avoir lu, et que plus d’une fois, pendant la nuit, le souvenir qui lui en vint en songe le réveilla en sursaut.

Cependant le lendemain matin, jour de dimanche, nos deux compagnons, rafraîchis par le repos de la nuit, se levèrent, accomplirent leurs dévotions aussi bien qu’il était possible dans la capitale du protestantisme, puis se firent apporter une légère collation. Comme ils terminaient leur repas, la cloche de l’église Saint-Pierre, transformée en temple, se fit entendre, et ils virent entrer chez eux le patron de l’auberge, vêtu d’un habit et d’un ample manteau brun foncé, dont l’extrême propreté était relevée encore par la blancheur éclatante d’un col de chemise rabattu sur les épaules. Quoique cet homme fût habituellement grave, il l’était trois fois plus que de coutume en ce moment. D’abord il avait son habit du dimanche, ce qui lui faisait contracter un surcroît de roideur et de gaucherie qui frappait ceux même qui le voyaient journellement ; secondement il entretenait son esprit dans une disposition favorable à profiter du prêche qu’il allait entendre ; puis enfin, en sa qualité de zélé protestant, il désirait savoir ce que les deux étrangers qu’il logeait se proposaient de faire en ce jour consacré à Dieu.

« Messieurs, dit-il en saluant profondément ses deux hôtes, sans m’écarter de la discrétion dont la profession que j’exerce me fait une loi, pourrais-je savoir si l’intention de leurs seigneuries est d’assister à la lecture du saint Évangile et au prêche, ou de demeurer dans leur appartement ? Notre usage en cette maison, ajouta-t-il aussitôt qu’il crut s’être aperçu de quelque étonnement de la part des deux étrangers, notre usage est de prévenir les voyageurs que les jours fériés, personne ne circule dans les rues de la ville pendant