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avait cependant une physionomie pleine de vivacité et d’expression.

Caressant, vif et impétueux, avec toutes ces dispositions il était assez peu apte à la carrière à laquelle son oncle le destinait. Mais le père d’Ernest, M. de P*** avait vieilli dans les différentes légations d’Europe, et d’après ce précédent, M. de Liron en avait conclu que son neveu devait aussi être diplomate. Si le caractère du jeune homme se prêtait peu à ces vues, il faut dire que son instruction, bien que n’ayant rien de très-régulièrement classique, était toutefois étendue, et assez variée pour justifier le projet que M. de Liron avait de faire de son neveu un chargé d’affaires, ou un secrétaire d’ambassade.

Cette idée était tombée si naturellement dans l’esprit du vieillard, qu’il avait à peine consulté son neveu en prenant la résolution d’écrire à l’un de ses anciens amis, M. de Thiézac, afin que celui-ci s’employât à Paris en faveur d’Ernest.

Pour mademoiselle de Liron, c’était une charmante personne. Blanche comme le lait, un peu grasse, elle avait de beaux cheveux noirs et des yeux d’un bleu de mer, genre de beauté assez commune parmi les femmes du Cantal, où sa mère était née. Tous ceux qui la voyaient pour la première fois s’étonnaient de ce qu’elle fût parvenue à l’âge de vingt-trois ans sans être mariée. Mais les gens du pays étaient en général fort discrets dans leurs réponses, quand on les interrogeait sur ce sujet. Quelques-uns cependant avaient laissé comprendre, mais avec une réserve extrême encore, que, plusieurs années avant, mademoiselle de Liron avait été assez longtemps absente du pays, et qu’à son retour on avait cru remarquer qu’elle portait une espèce d’habit de deuil. C’était précisément à l’époque où Ernest était venu du collège dans la maison de son oncle, et ce deuil coïncidait avec la fameuse bataille de B***, où tant d’officiers français perdirent la vie.

À partir de ce temps, cette jeune femme, dont l’esprit était plein de fermeté, s’était entièrement livrée aux soins que demandaient la maison et les biens de son père. Depuis les plus petits détails domestiques jusqu’aux prévoyances laborieuses