Selon lui, cette singularité de l’intelligence n’avait rien de commun avec une véritable impiété. Il s’expliquait cette erreur en supposant la pénétration de l’esprit de ma fille plus actif que puissant ; et enfin, soit qu’il voulût épuiser toutes les ressources pour calmer mon chagrin, ou qu’en effet ses remarques fussent exactes, il disait que l’avenir de ma fille ne l’inquiétait nullement, parce qu’elle avait un sentiment de vénération et de tendresse si profond pour son père et sa mère, qu’il était impossible qu’avec de telles dispositions dans l’âme et dans le cœur, elle ne parvînt pas, avec le temps, à les élever jusqu’à Dieu, qui est le père de tous. Une circonstance encore qui tranquillisait notre bon curé et qui ne laissa pas de diminuer mes inquiétudes, était le peu d’importance que ma fille attachait à son erreur. Elle n’avait nullement la conscience des paroles sacrilèges qui lui échappaient malgré elle ; lorsqu’on lui exposait une suite de raisonnements propres à lui faire comprendre l’existence de Dieu : — Non, je ne le comprends pas, disait-elle, je n’y crois pas. Et à son air simple et naïf, à sa résistance sans obstination, on voyait qu’elle tenait ce langage comme s’il se fût agi d’une règle d’arithmétique ou d’une phrase écrite dans une langue étrangère. Que vous dirai-je enfin ? notre bon curé parvint, sinon à calmer tout à fait mes inquiétudes, au moins à accoutumer mon esprit à cette inconcevable singularité. Le calme avec lequel il m’en parlait, l’espoir constant qu’il manifestait de voir bientôt l’intelligence de ma fille guérie de cette maladie, me rendirent un peu de tranquillité, et je promis, d’après le désir exprès que le curé me manifesta, de ne parler de rien de tout ce qui venait de m’être dit, à mon enfant, et d’éviter soigneusement toutes les occasions qui pourraient donner lieu à des discours qui fissent allusion à son erreur.
» Une chose qui me toucha jusqu’aux larmes, et qui contribua à redoubler ma confiance en notre bon curé, ce furent les paroles qu’il ajouta à la fin de notre entretien : — Vous comprenez à présent, madame, me dit-il, pourquoi je n’ai point fait communier mademoiselle votre fille. Vous devez même apprécier les motifs qui m’ont engagé jusqu’à ce jour