Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près d’un moribond sur qui les remèdes les plus actifs n’ont plus de prise. Allons, se disait-elle, il faut renoncer à tout salut ! C’est une enfant désespérée !..... Qu’elle cueille des fraises !..... elle n’est bonne qu’à cela. Et en faisant ces amères réflexions, madame de Soulanges cachait ses yeux avec ses mains et pleurait à la dérobée, tandis que ces trois messieurs poursuivaient leur conversation.

Elle se prolongea jusqu’au coucher du soleil, et pendant sa durée, madame de Soulanges conserva la même attitude. Mais tandis que les choses se passaient ainsi de ce côté, Louise et Toinette, à quelques pas de là, préparaient, en cueillant des fraises, l’heureux événement sur lequel madame de Soulanges n’osait plus compter.

À peine Louise avait-elle entendu le mot de consentement, que sa mère lui avait donné comme malgré elle, que, s’élançant à travers la petite haie qui séparait le champ de fraises de l’endroit où la société était assise, elle courut vers Toinette :

— Toinette, lui dit-elle, je viens vous aider. La jeune paysanne ne répondit d’abord à cette offre que par un sourire contraint, qui exprimait tout à la fois un remercîment et beaucoup d’incrédulité sur la disposition de Louise au travail. Cependant mademoiselle de Soulanges s’agenouilla et se mit en devoir d’aider sérieusement la jeune Toinette.

Celle-ci était âgée de quatorze ans environ. Sa figure, assez gracieuse, mais sans régularité, était seulement remarquable par une expression singulière de bonté, jointe à cet air grave et triste même que donne aux enfants des campagnes l’habitude anticipée d’un travail régulier et pénible. Mais Toinette avait des qualités qui la distinguaient de toutes ses compagnes dans le village. Dès l’instant où sa raison et son caractère avaient pris quelque développement, cette enfant s’était montrée, au milieu de sa famille, un modèle de bonne conduite, tant envers ses grands parents, qu’à l’égard de son frère et de sa sœur, dont elle était l’aînée. C’était elle qui avait élevé ces deux enfants, dont l’un avait alors neuf ans et la petite fille sept.

On ne se figure guère, dans les grandes villes, la part singulièrement active que les petites filles de campagne pren-