et en faisant de vains efforts pour relever ses paupières appesanties, c’est à présent, ma mère, que mon cœur vous chérit, vous aime, vous honore comme vous le méritez.
Et comme sa voix allait toujours en s’affaiblissant :
— Et Toinette, ajouta-t-elle, cette bonne fille !... vous l’aimez, n’est-ce pas, ma mère ?... Toinette !... Dieu !... furent les deux mots qu’elle prononça tour à tour jusqu’au moment où elle s’endormit.
L’une des mains de madame de Soulanges était restée engagée dans celle de sa fille. La mère attendit près d’une demi-heure, dans cette position, que le sommeil de son enfant fut assez profond pour qu’elle pût s’éloigner d’elle sans la réveiller. Après avoir rappelé la femme de chambre, à qui l’on recommanda de veiller Louise et de s’empresser d’avertir sitôt que le sommeil la quitterait, madame de Soulanges rentra dans le salon, où elle retrouva les joueurs de trictrac très-occupés d’un coup difficile, pour lequel on invoquait le témoignage et la justice du bon curé.
Dans les premiers moments, la comtesse profita de la distraction complète de ces trois messieurs pour se jeter sur le sofa, se livrer tout à l’aise aux réflexions que ce qui venait de se passer faisait naître dans son esprit, et elle attendit avec résignation la fin de la partie. Mais lorsqu’elle s’aperçut que les joueurs allaient en recommencer une autre, alors elle s’approcha d’eux avec une certaine gravité, les engagea à quitter le trictrac, et leur donna à penser, par l’air de son visage, qu’elle avait quelque chose de sérieux à leur communiquer. En effet, elle leur dit l’impression que paraissait avoir produite sur sa fille son entretien avec la jeune Toinette, et elle rapporta tout ce que Louise lui avait dit à ce sujet.
— Notre chère enfant, ajouta-t-elle, est sur le point d’échapper à l’incroyable erreur où elle était plongée ; et j’espère que demain, à son réveil, ce bonheur ne sera un songe ni pour elle ni pour nous.
Après ce récit, qui causa d’abord plus d’étonnement que de joie, madame de Soulanges donna le signal de la retraite aux deux ecclésiastiques, et se dirigea avec son mari vers la