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plusieurs jours. Du lieu où il était assis, il voyait donc arriver en foule ces êtres au pied de ce mur-montagne ; il les observait faisant mille et mille efforts pour gravir les roches et pénétrer par leurs innombrables interstices qui engloutissaient à mesure les multitudes sans cesse renaissantes.

La foule des arrivants était si grande qu’ils étaient obligés, pour la plupart, de monter jusqu’aux sommets invisibles de cette muraille pour trouver des entrées libres où chacun de ces êtres avait hâte de s’enfoncer.

Ce spectacle, dont le souvenir devint plus terrible encore pendant l’obscurité et le silence de la nuit, glaça Robert de terreur jusqu’au fond de l’âme. Mais il ne se laissa vaincre ni par ce sentiment ni par la fatigue que son corps éprouvait ; il résista même au sommeil toujours près de l’opprimer. Volontairement immobile, il sentait que par le moindre geste il aurait pu troubler le repos de tout ce qui l’entourait ; et comme une mère qui a laissé endormir son enfant pendant qu’elle était dans une mauvaise position, Robert serait plutôt mort de douleur que de changer d’attitude.

Une nuit longue s’écoula, et chacun, excepté Robert, avait pris du repos. Dès que parurent les premiers rayons du jour, Caroline s’éveilla, et se levant en sursaut : « Robert ! ah ! Robert ! s’écria-t-elle en prenant vivement sa main et le regardant avec inquiétude, c’est bien toi ? »

Ces paroles éveillèrent Flavie, qui saisit le bras de Robert et demeura sans rien dire. Mais Caroline était pâle ; et dégageant son front de ses cheveux noirs qui tombaient jusque sur ses yeux, elle jeta un regard triste, mais fixe, sur Flavie, qui baissa les yeux, laissa tomber sa tête sur la poitrine de Robert, et pleura.

Personne ne dormait plus. Lucie, aimable et bienveillante, se leva en faisant un sourire, tandis que Thérèse, pour raffermir sa résignation, regardait la grande muraille.

« Allons, marchons ! » dit Robert, et toute la troupe se leva pour le suivre.

Tous reprirent le sentier dans lequel ils avaient encore un millier de pas à faire avant d’arriver à l’ouverture par laquelle ils devaient pénétrer dans le grand mur. Ils mar-