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il faut le dire à sa louange, il sentit que, quels que fussent les motifs de la retraite de mademoiselle Justine de Liron, il était de la politesse, de l’humanité même, de la laisser libre chez elle. Il partit.

Ce ne fut que le lendemain matin que M. de Liron revit sa fille. La confiance qu’il avait en elle était si involontaire et si complète, que c’était tout au plus s’il prenait de l’inquiétude lorsqu’elle avait le soin, comme cela était arrivé la veille, de le prévenir de ce qu’elle pourrait faire d’extraordinaire et d’inattendu. Il était si bien fait à la voir se conduire raisonnablement ; l’habitude de ne penser et de n’agir que par elle était si bien prise chez lui, qu’il ne lui venait pas même l’idée de réfléchir sur ce qu’elle avait fait. Ce qui l’occupa le plus lorsque sa fille se présenta devant lui, ce fut d’apprendre de sa bouche que son indisposition était passée, et que sa santé lui permettait de vaquer comme à l’ordinaire aux soins domestiques.

Après les départs, ceux qui restent ont des moments pénibles à passer dans les premiers jours : l’heure des repas, par exemple. Au dîner, mademoiselle de Liron et son père se trouvèrent assis près d’une table qui leur parut immense. Il ne s’y dit rien que ce que les besoins du moment faisaient dire, et le père et la fille tournaient toujours involontairement leurs regards vers la place qu’Ernest occupait encore la veille. Il n’y eut pas même de conversation commencée, et les seules paroles que M. de Liron laissa échapper déchirèrent le cœur de sa fille :

— Il doit être à présent à Aigueperse ou à Gannat, dit le vieillard en mettant la main à l’endroit de la table où se plaçait toujours son neveu.

Et il reprit lentement sa marche pour aller au salon jusqu’à son fauteuil.

Ces tristes scènes se renouvelèrent plus d’une fois. Mais l’âme de mademoiselle de Liron était forte, et son cœur aimant se sentait la faculté de vivre une année des souvenirs du bonheur d’un jour. Elle augmenta et régularisa encore ses occupations journalières. L’absence de son cousin lui fit sentir la nécessité de consacrer à son vieux père les mêmes