et malades, indique plutôt la faiblesse des organes que la force de leurs émotions. Ernest, tout prévenu qu’il était, fut touché de l’abattement de son oncle ; pour mademoiselle de Liron, que l’habitude rendait moins attentive à ce triste spectacle, elle ne détournait pas les yeux de dessus Ernest. Il avait atteint sa vingtième année. Les préoccupations de l’étude et des affaires, huit mois passés à Rome, où tout exerce si vivement l’intelligence, où l’on se trouve au milieu de l’élite de la société de l’Europe, avaient empreint sur la figure d’Ernest une gravité qui, jointe à la vivacité naturelle de sa physionomie, rendait son expression presque imposante. Son costume même, ses manières, un choix d’expressions plus correctes, plus élégantes dans son langage, et enfin un certain air aventureux et pénétrant que contracte le regard pendant de longs voyages, tout dans ce jeune homme contribuait à exciter la curiosité et un étonnement mêlé de quelque inquiétude dans l’esprit de mademoiselle de Liron. Elle ressentit, pour un seul moment, il est vrai, comme du chagrin de ce que son cousin eût changé si vite, quoique tout à son avantage, mais éloigné d’elle. Elle se surprit même regrettant son maintien un peu désordonné, son humeur parfois inégale, ses bouderies qui donnaient le droit de le gronder. Enfin elle fut forcée de reconnaître en lui des avantages qu’il n’avait pas acquis auprès d’elle. Mais Ernest était devenu un homme ; aussi tout en éprouvant de la satisfaction de ce qu’il était ainsi, en coûta-t-il quelques efforts de courage à mademoiselle de Liron pour se l’avouer.
Cependant le vieux père, dont les forces furent bientôt épuisées par les larmes qu’il avait versées, ne sentait, n’entendait plus rien. Sa fille en avertit Ernest, dont la présence auprès de son oncle devenait désormais une fatigue inutile, et elle l’invita à venir reconnaître les prairies et le jardin qu’ils avaient si souvent parcourus ensemble.
Cette première promenade se sentit de la gêne qu’éprouvaient Ernest et mademoiselle de Liron. On fit des remarques sur quelques changements faits dans la distribution des eaux ; on indiquait une plantation nouvelle, une rigole construite récemment, et vingt autres minuties de cette nature.