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cousin l’effet ordinaire de ces espèces de confessions. Le caractère de sa cousine lui parut encore plus noble, et son désintéressement tout à fait héroïque. Bref, il l’aurait aimée encore davantage si la chose eût été possible. Cependant la sincérité et la justesse des observations qu’elle lui avait faites avant de le quitter l’avaient frappé, et il sentait bien que, si la raison seule eût été son guide en cette circonstance, il aurait été obligé de lui donner gain de cause. Mais la noblesse de la conduite de mademoiselle de Liron et la grâce enchanteresse dont elle accompagnait tous les actes de son inépuisable bonté, prévalurent dans l’esprit d’Ernest, qui d’ailleurs sentait son honneur trop fortement engagé pour se rendre ainsi à une première sommation.

Trois jours s’étaient écoulés pendant lesquels Ernest et Justine, qui commençaient à reprendre l’habitude de se voir et d’être ensemble sans éprouver des émotions si fortes, avaient passé des moments fort doux. Comme autrefois ils allaient présider ensemble aux travaux des ouvriers, et Ernest, moins fantasque dans ses goûts et dans ses idées que l’année précédente, semblait goûter du charme à ce genre de vie. Sous le voile du badinage, il trouva moyen d’en faire l’aveu à sa cousine. Il voulait l’épouser, disait-il, il se ferait fermier, il gérerait ce bien dont il faisait, par ses calculs et ses projets d’économie, doubler, quintupler même le revenu. Tous ces discours, et mademoiselle de Liron ne prenait pas le change, valaient à dire : J’épouserai ma cousine, bien que je sois plus jeune qu’elle, et qu’elle ait eu un amant. Mais elle ne voulut pas entamer de nouveau une discussion à ce sujet, sans avoir toute sécurité pour lui donner quelque suite. Elle feignit donc de prendre les projets d’Ernest comme des plaisanteries que les lieux où ils se trouvaient avaient fait naître, se réservant de lui en parler sérieusement quand l’occasion serait opportune.

— Eh bien ! soit, dit-elle en riant, vous m’épouserez, je ferai de vous un paysan. Dites-moi donc, mon ami, continua-t-elle toujours en badinant, puisque nous voilà si près de cette grande conclusion, voulez-vous venir ce soir assister dans la chambre de votre future, à son petit souper ?