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côté, laissait voir dans ses yeux le désir de la connaître.

— Ah ! si je te découvrais tout le fond de ma pensée sur ce sujet, reprit mademoiselle de Liron, tu entendrais des choses étranges !

Elle s’arrêta encore un instant, et Ernest exprima de nouveau l’excès de sa curiosité.

— Figure-toi donc, dit-elle enfin, que loin de m’occuper et de me mettre en peine de l’opinion que les autres peuvent prendre de moi, dans cette occasion-ci, par exemple, j’éprouverais, au contraire, de la satisfaction à l’idée d’être jugée défavorablement par le vulgaire ; oui, je ressens, s’il faut te le dire, une espèce de joie maligne à mettre la médisance en défaut, à faire dire aux gens de la maison peut-être que nous faisons une faute, quand en effet nous nous conduisons honnêtement. Alors la pureté de notre conduite, le genre de bonheur qui en résulte, me semblent plus solides, plus resserrés en un point ; alors ce bonheur est bien à nous, nous l’avons fait, nous le gouvernons, nous le gardons nous-mêmes ; un mystère impénétrable l’environne, et les indiscrets, les jaloux et les méchants ne se donnent pas orgueilleusement la joie de sanctionner l’œuvre de notre conscience. Dis, Ernest, comprends-tu l’amour à présent ? reconnais-tu combien ce sentiment est fort, pur, élevé ? et ne sens-tu pas à présent toute la vérité de ce que je te disais : que l’amour vient à bout de tout ? Sors donc de cette chambre, restes-y si tu veux ; ce que tu désireras faire, je l’approuve d’avance ; quant à ce que les autres en diront, en penseront, je n’en ai nul souci.

La vivacité des émotions que mademoiselle de Liron avait éprouvées pendant toute cette conversation lui causa un peu de fatigue. Son teint, qui avait été animé, se décolora. Aussi Ernest prit-il occasion de cette circonstance pour l’engager à se livrer au repos.

— Vous avez raison, lui dit-elle ; mais ce n’est que de ce moment que je me sens fatiguée. Descendez jusque chez Mariette, qui attend sans doute mes ordres pour se coucher aussi, et priez-la de venir m’assister un instant.

Ernest s’acquitta de la commission, remonta avec la femme