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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.
le monde s’en rend. Ici je peux en remercier de tout mon cœur une amie. Vous pouvez croire que je n’ai pas attendu votre lettre pour savoir de vos nouvelles. Votre pauvre enfant ! Je vous plains bien ! Adieu ! Ma triste figure ne serait guère pour vous apporter quelques consolations. Adieu et tendre attachement. »


22 ou 23 décembre, mardi, à minuit. — Je rentre chez moi dans des sentiments de bienveillance et de résignation au sort. J’ai passé la soirée avec Pierret et sa femme au coin de leur modeste feu. Nous prenons notre parti sur notre pauvreté : et au fait, quand je m’en plains, je suis hors de moi, hors de l’état qui m’est propre. Il faut, pour la fortune, une espèce de talent que je n’ai point, et quand on ne l’a point, il en faudrait un autre encore pour suppléer à ce qui manque.

Faisons tout avec tranquillité ; n’éprouvons d’émotions que devant les beaux ouvrages ou les belles actions… Travaillons avec calme et sans presse. Sitôt que la sueur commence à me gagner et mon sang à s’impatienter, tiens-toi en garde : la peinture lâche est la peinture d’un lâche.

— Je vais demain chez Leblond[1], le soir. J’aime

  1. Frédéric Leblond fut un des intimes de Delacroix. Il était assidu aux réunions d’amis en compagnie desquels le peintre se reposait du labeur de la journée. Dans une longue lettre, curieuse en ce qu’il y raconte sa dernière visite au grand artiste mourant, Frédéric Leblond vante la solidité d’affection de Delacroix ; cette lettre fut publiée dans