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Comme tout le monde

la grossesse, suprême aveu d’animalité. Mais il est convenu que la grossesse n’est pas indécente. Elle ne choque même pas les personnes « bien pensantes ». Certes, la religion aurait bien aimé défendre aux gens de faire des enfants. Mais comme le monde aurait fini, cette même religion, qui inventa les « parties honteuses », bénit les grandes familles et salue d’un regard protecteur le gros ventre maternel tendu sous la robe bourgeoise.

Il y avait deux mois qu’Isabelle était enceinte. On arrivait à la fin de mars. Depuis quinze jours, le marquis était retourné rejoindre la marquise à Paris. Isabelle le savait par les conversations de la ville. Et, quoiqu’elle en souffrit affreusement, elle ne pouvait retenir la vanité cachée qui lui venait de son roman avec le beau gentilhomme dont les dames s’occupaient tant.

« Il est parti de désespoir », rêvait-elle tandis qu’on jabotait chez madame Chanduis. Une petite ironie passait dans ses yeux innocents. Elle regardait les dames, se félicitait que personne ne se fût aperçu de rien, et même elle ne rougissait plus quand on prononçait le nom de Taranne, à cause que sa conscience, à présent, était tranquille.

Elle avait bien encore des nuits de larmes, de regrets, de cœur déchiré, mais vite elle songeait au « fils du rêve », et toute sa tendresse refoulée