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Page:Delarue-Mardrus - L’hermine passant, 1938.djvu/49

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l’hermine passant

Elle m’a fascinée. C’est peut-être cette pâleur collée avec la justesse d’un gant sur ses os délicats ? Elle a l’air d’une carmélite adolescente. Mais quelle fine passion vit dans ses narines précieuses ! Et que sa bouche est belle ! Belle de couleur et de dessin, subite violence dans son masque mystique.

J’ai cherché ses yeux sans les trouver, pendant tout ce déjeuner incroyable. Je ne voyais que ses paupières étroites comme celles du père, leurs cils sombres, et cette meurtrissure précoce grandie jusqu’aux joues. Petite figure de sainte ou d’enfant martyre, de quoi donner une espèce de frisson. Mince, de taille moyenne, le cou long, des mains admirables. Et cette robe semblable à celle de sa sœur, triste tenue d’orphelinat, et ce nœud de nattes dans le cou, ce vrai paquet de cordes fauves…

Elle ne sait certainement pas qu’elle est belle. Peut-être ne sait-elle pas non plus qu’elle souffre.

Quand, un instant, j’ai pu voir ses yeux, à table, j’en suis restée saisie. Deux lames bleues étirées vers les tempes, un regard incompréhensible.